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Lundi 24 janvier 2000

J’ai passé une bonne partie de la matinée à l’AJ pour boucler mon sac, rendre ma chambre, faire le vide dans le frigo, ... Je vais retirer encore un peu d’argent dans un distributeur de billets pour avoir des dollars frais, monnaie acceptée sans aucun problème un peu partout en Amérique du Sud. Vu les nouvelles d’hier et l’agitation qui doit régner dans Quito, je préfère téléphoner à l’aéroport pour savoir si le vol est maintenu. La personne que j’ai au bout du fil ne semble pas trop comprendre mon inquiétude ; est-elle au courant de ce qui s’est passé, ou ce qu’on m’a dit était-il exagéré ? En tous les cas, elle me confirme le départ du vol, comme si de rien n’était. Me voilà rassuré1. En début d’après-midi, je me dirige donc tout doucement vers l’aéroport en empruntant la ligne « ouaneautou »...

En attendant l’embarquement, je m’achète une paire de lunettes de soleil, outil extrêmement utile sous les tropiques2. Puis vient le moment du décollage, dans un Boeing 737 qui est un peu moins imposant que l’A340-300 pris à Paris, mais que je juge respectable tout de même. Je suis tellement excité que des idées un peu saugrenues me passent par la tête en plein vol, comme l'envie d’ouvrir la fenêtre pour aller toucher le réacteur... Au-dehors, j’admire les superbes couleurs rose et pourpre du coucher de soleil. Je me fais une réflexion édifiante, preuve que je ne suis pas tout à fait dans un état normal ou que le système d’aération envoie trop d’oxygène : « Si le soleil semble se coucher plus tôt lorsque l’on est en avion, c’est certainement parce qu’on est au-dessus de lui »... Un peu plus tard, j’ai voulu quitter l’appareil quand, feuilletant le magazine de la compagnie, j'ai appris que le 737 est en fait l’un des plus petits avions de la flotte...

L’arrivée à Quito de nuit est un grand moment. La brume est tombée sur la ville toute allumée et modifie la perception des distances ; en outre, l’aéroport est situé dans la capitale, ce qui donne plus l’impression que l’on est en train de s’écraser sur les immeubles que de se poser sur une piste invisible au passager... Le hall d’arrivée est minuscule et complètement désert. Notre avion devait être le dernier à arriver car les portes seront fermées dès que nous aurons quitté ce que l’on pourrait appeler l’aérogare. Donc, pas question de passer la nuit ici... Les formalités sont à l’échelle du lieu, c’est-à-dire réduites au minimum : un coup de tampon sur le passeport vient agrandir ma collection, et je passe le contrôle de douane comme si je pénétrais dans un moulin ! Pas de fouille ? Cela m’étonne une fois de plus. Peut-être les douaniers sont-ils fatigués de leur journée ? Je verrai bien à la sortie du pays, lors du passage de la frontière avec le Pérou, quel sera le ton du préposé. La personne du bureau d’informations est peu loquace, sans doute fatiguée, elle aussi. J’avais à peine franchi le dernier contrôle que j’étais assailli par des chauffeurs de taxis venus à ma rencontre pour me demander si je souhaitais qu’ils me conduisent quelque part. Cela me rappelle aussitôt le Maroc : aïe !

Je discute âprement le montant de la course, que nous fixerons à trois dollars (la monnaie américaine est plus appréciée que la devise locale...), avec le chauffeur qui se propose de m’emmener dans le centre. Il veut m’aider à porter mes sacs, mais toujours (trop) méfiant comme à mon habitude, je les emmène moi-même d’un pas altier que je vais bientôt regretter. Nous sommes à 2700 mètres d’altitude, et je commence à ressentir les effets du manque d’oxygène, m’essoufflant rapidement à force de traîner mes bagages puis de les lever pour les mettre dans le coffre... Je monte à côté du chauffeur. Pendant le trajet, il me pose quelques questions que je ne comprends pas trop car je ne parle pas (encore !) un mot d’espagnol. Cependant, je crois percevoir, par les gestes qui accompagnent ses paroles, qu’il me reproche une certaine pingrerie à cause du marchandage sur le prix de la course... Il a sans doute un peu raison, mais un ou deux dollars, ici plus qu’ailleurs du reste, n’est pas une somme à négliger (j’en aurai bientôt la preuve). Et puis je sais d’après les guides de voyage consultés que j’aurais pu prendre le bus pour environ un huitième de la somme convenue. Mais bon, il ne semble plus y en avoir à cette heure-ci dans les rues désertes... Par contre, il n’a sans doute pas tort de me rappeler que si quelques dollars sont importants pour moi dans ce voyage au long cours, ils le sont sans doute tout autant pour lui ! C’est pourquoi, lorsqu’il me propose de m’emmener dans un hôtel à la limite du Quito Moderne et du Vieux Quito, j’accepte bien volontiers après lui avoir demandé combien il m’en coûtera pour la nuit. Je lui donne également un pourboire d’un dollar à la fin du parcours : avec le prix du litre d’essence et la commission qu’il va toucher pour m’avoir conduit ici, il s’en sort certainement bien...

Devant l’Emerald, un hôtel à six dollars la nuit, ce que je trouve très bon marché bien entendu en arrivant des États-Unis, un certain personnage plante le décor. Il s’agit d’un jeune homme qui monte la garde, vêtu d’un habit paramilitaire et portant à sa ceinture un étui contenant un pistolet. Le ton est donné... Aïe ! Aïe ! Aïe !

Je prends possession de la chambre, difficilement à cause de l’escalier qu’il me faut gravir et de mon souffle de plus en plus court... Par contre, je suis très agréablement surpris de constater que j’ai une belle petite salle de bain privative et qu’il y a encore de l’eau chaude, car mon guide avertissait : « Pour un hôtel de toute petite catégorie, ne comptez pas avoir de l’eau chaude, il n’y en a quasiment jamais. (...) Seuls les « Très Chics » possèdent à coup sûr des ballons d’eau chaude. En tout cas, prenez votre douche le matin. Après 12h, les chances d’avoir de l’eau chaude sont les mêmes que celles de gagner au loto. » Je ne vois donc que deux explications : une, il est presque minuit, donc on est presque le matin, donc il y a presque de l’eau chaude ; deux, j’ai gagné au loto. Ah ! mais je n’ai pas joué, donc... Ou alors, je suis dans un hôtel Très Chic, ce qui m’étonnerait quand même un peu vu l’endroit, la chambre, le bâtiment, le quartier, le prix...

Mardi 25 janvier 2000

Le réveil est difficile à cause du « mal des montagnes » ; je souffle sans arrêt. Douche, chaude bien entendu (cette fois on est vraiment le matin et il n’est pas encore midi !), puis petit déjeuner composé des quelques gâteaux secs qu’il me reste d’hier. Je décide de m’aventurer au-dehors malgré ma faiblesse. Je marche très lentement, n’hésitant pas à faire des pauses quand ça monte un peu trop. Je suis dans le Quito nommé « Moderne », mais je ne vois de modernité nulle part. Sur le trottoir, aussi tenté que l’on puisse être d’appeler cet endroit par ce nom, beaucoup de petits stands comme au Maroc. C’est la deuxième fois que j’établis une comparaison avec ce pays. Ce n’est pas un hasard ; je vais bientôt comprendre que tous les pays pauvres doivent se ressembler... J’achète quelque chose pour me désaltérer car il est conseillé de boire beaucoup en altitude. La bouteille de Coca n’est pas chère, bien entendu. Tout comme le trolley, une sorte de tramway électrique que j’emprunte pour aller dans le Vieux Quito : dix cents américains, soit dix fois moins qu’un billet de bus aux États-Unis. Voilà pourquoi un seul malheureux dollar est si important ici...

Je pénètre donc dans la partie historique de cette ville, classée Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO. Je veux me rendre au CETUR (Corporación Ecuatoriana de Turismo), nom de l’office de tourisme en Équateur, situé, selon le guide, juste à côté de la Plaza de Independencia, mais je descends trop tôt et dois encore marcher. Je progresse tout doucement, clopin-clopant, dans ces rues d’un autre monde, d’un autre temps surtout. Je m’aperçois qu’il y a deux raisons d’appeler cet endroit le Vieux Quito : pour des raisons historiques, bien sûr, mais aussi pour des raisons sociales... Je commence à être envahi par une impression peu agréable, celle d’être dans le Maroc de l’Amérique du Sud. Si l’impression est peu agréable, c’est qu’une nouvelle fois je n’étais pas préparé à ce choc, celui qui naît de la rencontre avec la misère, la pauvreté dans toute sa « splendeur » ! Je n’avais jamais imaginé des rues comme celles-ci, où le goudron a fait la route buissonnière, où les services les plus élémentaires semblent n’avoir jamais mis les pieds : l’eau est-elle courante ? Je n’aimerais pas être une des gouttes qui doivent passer par les tuyauteries de ces quartiers abiotiques... Pour l’électricité, il faut pédaler ? Et quelle pollution, mon dieu ! Les bus – hum ! les... machins qui roulent avec des sièges à l’intérieur – ne sont pas équipés de pots catalytiques, ça c’est une évidence. Ce n’est pas un peu de fumée qu’ils rejettent, c’est l’équivalent de Tchernobyl sous forme de CO2 ! Je parierais même qu’ils n’ont pas de pot d’échappement du tout si je ne les avais vus de mes propres yeux : la plupart des véhicules ont le leur situé sur le toit. Original et pratique : les piétons ne prennent pas la fumée dans la figure. Les oiseaux, par contre... Tiens, je ne me souviens pas avoir vu un seul oiseau dans Quito... (C’est faux, bien sûr.) En tous les cas, rien ne me laissait supposer ce que j’allais découvrir : ni la lecture de mon guide, ni le seul et unique Équatorien que j’avais jamais rencontré auparavant...

Si je marche lentement, c’est aussi car je laisse mes yeux découvrir cette « explosion d’art baroque sublimé dans la pierre » dont parle, à juste titre, le guide : un bon point pour lui ! J’étais intrigué par cette phrase depuis que je l’avais lue à Houston et bien avant, lorsque j’étais encore en France où j’avais acheté le livre, car je ne savais absolument pas ce qu’était l’art baroque. Je le découvre aujourd’hui et vais très vite en tomber un peu amoureux... Je tourne en rond à cause du plan merd... du guide. L’endroit que je cherche s’appelle en fait Plaza Grande mais est nommée différemment sur le bout de papier. Je pouvais toujours tourner ! Une fois un plan digne de ce nom en main, je traverse cette place entourée de plusieurs monuments : la cathédrale, le palais présidentiel, un vieil hôtel colonial, le palais archiépiscopal, le palais municipal, l’église El Sagrario. Au centre trône le Monumento a la Independencia – je ne traduis pas ! –, une colonne de marbre et cuivre en haut de laquelle se tiennent un lion dressé, symbole de l’Espagne, et un condor, pour l’Équateur. De là sans doute la confusion du guide qui me paraît tout de même peu excusable puisque les plaques indiquent clairement le véritable nom de la place. Pour plaisanter, je me demande sur l’instant si les auteurs sont vraiment venus ici...

L’endroit est calme et paisible, l’ambiance ne ressemble pas du tout à l’imbroglio qui doit régner un surlendemain de révolution ! Les gens vont et viennent, vaquent à leurs occupations habituelles. Le palais présidentiel est gardé, mais je devine que cela n’a rien d’anormal. En tout cas, c’est aussi bien comme ça et je peux poursuivre ma visite tranquillement. Je suis effaré en voyant tous ces petits cireurs de chaussures qui se promènent, la gueule et les mains noircies par le cirage, avec leurs repose-pied et leurs brosses, allant d’un passant à un autre pour tenter d’obtenir une petite pièce en l’échange d’un astiquage. Ils ont entre huit et treize ans à peine, je pense...

Je continue ma promenade, toujours aussi doucement, vers l’ouest où j’arrive à un endroit que le guide et les gens du coin déconseillent de visiter. D’abord parce qu’il n’y a rien à voir, et surtout parce que c’est très, très dangereux. Quoi qu’il en soit, d’ici je vois bien l’immense Vierge qui trône tout en haut de la colline, dominant toute la capitale sur ce site qu’on appelle le Panecillo, place historique, symbolique et géographique de la ville. Le lieu a servi de forteresse et de réserve à poudre lors de la guerre d’indépendance, abrite cette statue religieuse géante visible de plusieurs endroits de la ville, et c’est un point de vue panoramique sur les environs. On peut s’y rendre à pied en gravissant la colline par un chemin escarpé qui serpente entre les maisons, mais les objurgations de mon guide, de la carte que j’ai achetée et des jolies hôtesses d’informations touristiques de la Plaza Grande vont toutes dans le même sens : il ne faut pas ! C’est très dangereux. Disons même... mortel pour les touristes à cause des agressions ! De toute façon, c’est un peu haut pour moi qui ai déjà des difficultés à monter une rue un peu pentue. Par contre, j’aurais regretté de ne pas venir jusqu’à l'endroit où je suis actuellement car le spectacle que m’offrent les collines environnantes est éblouissant : l’herbe, d’un vert si tendre et si particulier que je ne me souviens pas l’avoir déjà vu ailleurs, et les maisons aux tons pastel plantées à flanc de coteaux forment un tableau magnifique que tous les guides devraient estampiller « À voir absolument ». Apparemment, il y a des lacunes dans le mien ; je ne me rends pas encore bien compte de toute la portée de cette remarque...

Je poursuis mon périple en visitant l’intérieur du couvent Santo Domingo. C’est très particulier, je m’imprègne de l’art baroque, même si le mélange des styles est plus caractéristique dans certains endroits. Enfin, je termine par la basilique qui n’a rien à voir avec le style baroque puisqu’elle est néogothique. L’accès est vraiment très éprouvant, ça monte énormément, mais je trouve que mes efforts sont récompensés car, contrairement à ce qu’écrit le guide, il y a là matière à contemplation. En tous les cas, c’est mon avis, et je suis très déçu de m’apercevoir que j’aurais pu louper quelque chose si j’avais suivi strictement les conseils du bouquin. C’est la deuxième grande leçon de la journée : le guide ne dit pas tout, ça je l’ai déjà constaté, mais surtout, il ne dit pas toujours la vérité, enfin je veux dire, ma vérité : cette basilique mérite le détour. Maintenant, s’il y a une faute de goût à apprécier du néogothique, c’est une autre histoire...

Je reviens vers le centre moderne car c’est là que se trouvent les magasins autres que les épiceries, et j’ai l’intention d’essayer de vendre l’objectif acquis à San Francisco. Devant chaque banque, chaque bureau de change et dans les magasins de matériel « hi-tech » est posté un « agent de sécurité », d’un genre un peu particulier puisqu’il ressemble à celui qui gardait l’accès à l’hôtel hier soir. Vêtu d’un treillis bleu ou kaki, d’une casquette, et muni d’une arme, pistolet à la ceinture quelquefois ou plus souvent mitraillette en bandoulière ! Je ne sais pas s’il s’agit d’une conséquence des évènements récents ou si c’est habituel dans cette ville, en tous les cas le guide n’en parlait pas, mais les gens ne semblent pas être surpris, ce qui m’invite à penser que c’est plutôt une habitude... Les premiers essais de business ne sont pas concluants. S’il y a beaucoup d’endroits où l’on peut faire développer ses photos, les vitrines sont désespérément vides ou presque en matériel. Les produits ne sont pas de toute première fraîcheur, et lorsque je montre mon bien à un vendeur, il le regarde comme s’il s’agissait d’un objet extraterrestre. C’est un modèle très récent ; je comprends vite que ce n’est pas le genre de chose qu’on achète fréquemment dans ce pays, et vu le prix que j’en demande et le niveau de vie des Équatoriens, je pressens que l’affaire ne va pas être conclue de sitôt !

Il pleut, il pleut, il pleut... Une averse vient d’éclater. C’est un véritable déluge, pas un petit crachin. Il est vrai que c’est la saison des pluies ici ; je commence à comprendre ce que l’on entend par « chaud et humide »... Je n’ai pas de parapluie alors je fais comme tout le monde, je m’abrite sous un porche. En quelques minutes, les rues sont inondées, mais l’averse cesse aussi rapidement qu’elle avait débuté. Les difficultés insoupçonnées que je rencontre à essayer de vendre mon objectif, associées à ce temps des plus fluctuants et à la découverte de la réalité de ce pays commencent à me donner le blues. Et oui, déjà ! J’ai quitté Houston et son AJ accueillante pour je ne sais pas encore trop quoi...

Pour dîner, je pars à la recherche d’une adresse donnée par mon guide. Après avoir passé un bon quart d’heure à ne pas la trouver, je décide d’aller dans une direction quelconque. J’aperçois bientôt un Pizza Hut dans la rue un peu plus loin, alors je n’hésite pas un seul instant et je rentre. Le repas complet, assez copieux, ne me coûte même pas un dollar et demi. Ce prix vraiment bas est lié à la dévaluation du sucre, la monnaie du pays, une aubaine pour le voyageur aux poches « remplies » de dollars !

Je trouve le sommeil plus facilement ce soir car je suis moins gêné qu’hier pour respirer. Je pense que je me suis bien acclimaté à l’altitude, même s’il n’est pas encore question pour moi d’aller faire un cent mètres dans la rue.

Mercredi 26 janvier 2000

Ma matinée est décevante. Je la passe à aller d’un magasin à un autre pour proposer mon objectif, en m’aidant des adresses que j’avais trouvées dans un guide anglais sur l’Équateur à la bibliothèque de Houston. Je vais à droite, à gauche, je fais tous les magasins, sans grand succès, car le prix que je demande est trop élevé. J'explique que la pièce vaut bien plus de deux cents dollars et que je suis prêt, cependant, à la laisser pour ce prix. Je voudrais éviter de perdre de l’argent, mais je ne veux pas m’orienter vers la solution de l’expédition en France par la poste car j’aimerais récupérer l’argent tout de suite. Une piste s’ouvre à moi vers dix heures trente : dans une enseigne Agfa, le patron pense que l’objet peut intéresser un de ses amis et après avoir contacté ce dernier par téléphone, il me demande si je peux le lui laisser pour qu’il l’essaye. Je l’abandonne sans trop de problème car le vendeur a l’air tout à fait honnête, et puis il accepte de me remettre un papier... Je n’ai aucune inquiétude, même si j’ai conscience que je pourrais ne jamais revoir mon bien. Rendez-vous est pris dans l’après-midi pour avoir les résultats. Nous avons convenu d’un prix bien inférieur à celui que j’espérais. Cependant il me semble que j’ai très, très peu de marge pour négocier comme je le souhaiterais...

Je continue sur ma lancée, visitant au passage le quartier, sans grand intérêt à vrai dire, mais où je commence à comprendre qu’il vaut mieux être méfiant face aux autos qui circulent un peu n’importe comment dans la rue, n’hésitant pas à faire de larges embardées pour éviter les nombreux nids-de-poule de la chaussée. Gare au piéton ! Et cette prudence, je vais devoir l’exercer un peu partout dans toutes les villes de tous les pays que je traverserai : en Amérique du Sud, le piéton est une entité négligeable ! Cette fois, je pars à la recherche d’un magasin qui accepterait de me reprendre le gros pull fourré acheté à Salt-Lake City. Je n’en aurai plus besoin, car bien qu’il puisse faire froid en montagne, je pense être déjà assez couvert. Chez l’un des rares revendeurs d’articles de randonnée (Quito est le point de départ de plusieurs expéditions vers les sommets environnants), j’arrive enfin à refourguer ce vêtement de marque pour vingt dollars. C’est la moitié de ce que j’ai dû débourser pour l’acquérir, mais au moins j’en suis débarrassé... C’est maintenant au tour de la valise à roulettes de San Francisco. L’essai n’est pas concluant, alors je décide de la solder aussi ! Cette fois, je la propose carrément dans la rue à deux hommes qui vendent quelques babioles sur le trottoir, et ça marche. Pour cinq dollars, je leur laisse l’objet qu’ils ont pris soin d’inspecter sous toutes ses coutures.

Je pars vers le Quito colonial, en passant par le KFC où je mange américain une nouvelle fois car je ne suis pas sûr que mon estomac soit adapté à la nourriture locale (je n’ai fait que manger quelques pâtisseries locales), et je ne me sens pas encore prêt à attraper la turista

! Sur la Plaza Grande, je sors avec mille précautions mon appareil photo pour faire mes premières prises de vue par ce temps radieux. Il est midi ; je constate qu’effectivement, à cette heure-ci à l’équateur, le soleil est à la verticale : je lève mon nez et le contemple imprudemment. Erreur fatale !

Sur la place, que je domine depuis le perron de la cathédrale, j’aperçois pour la première fois ces Indiennes vêtues de leurs longues robes noires, portant une espèce de châle multicolore sur les épaules et une sorte de chapeau melon sur la tête. J’essaye de les photographier mais n’ose pas trop pointer le gros objectif inquisiteur de mon appareil dans leur direction. J’ai même l’impression qu’elles « sentent » ce que je tente de faire, ce qui me contraint à renoncer par respect, et surtout par timidité...

L’heure est venue de donner quelques nouvelles en France. J’appelle dans la poste locale à un tarif exorbitant : cinq dollars pour trois minutes de communication ! J’en conclus rapidement qu’il va falloir trouver un autre moyen pour téléphoner. Après une nouvelle promenade, je retourne vers le pont d’où j’ai aperçu le Panecillo hier, et j’attends, toujours très prudemment avec mon appareil photo à la main, que le soleil ait fini de faire cache-cache avec les nuages. Leur jeu m’impatiente. D’ailleurs je suis bientôt obligé de rentrer car il est temps d’aller prendre connaissance du sort réservé à mon objectif. Après trois quarts d’heure d’attente, la bonne nouvelle tombe : c’est OK. Il garde la bête et me remet les cent vingt dollars convenus. C’est peu, mais c’est toujours mieux que rien ! Le bilan de la journée peut paraître bien maigre, et surtout déficitaire : mes achats s’étaient élevés à deux cent soixante-dix dollars, la revente m’en rapporte cent quarante-cinq. Quoi qu’il en soit, je repartirai de Quito plus libre de mes mouvements car moins chargé, et j’ai limité « la casse ». S’il est vrai que je paie cher d’avoir voulu faire du « business », j’essaie de rester philosophe. J’ai tout de même essayé un nouveau moyen pour transporter mes affaires (il valait mieux l’essayer sur le terrain, quitte à pouvoir arrêter comme je l’ai fait en cours, que de partir avec et se retrouver coincé en plein milieu du voyage...), j’ai pu fouler les stations de ski de Salt-Lake City, et j’ai testé sur le terrain une combinaison appareil plus objectif finalement peu satisfaisante. C’est une bonne chose à savoir et j’en tiendrai compte pour mon prochain voyage. Mais surtout, je me réjouis très sincèrement en pensant que j’ai sans doute fait quelques heureux Quitanéens...

La journée n’est pas terminée ; j’hésite entre la visite d’un musée et celle d’un vivarium fondé par un Français. Le choix est vite fait après quelques secondes de réflexion : des musées, j’en ai déjà vu pas mal aux États-Unis, et j’en aurai beaucoup d’autres sur mon chemin. Alors je fonce découvrir l’univers des petites bêtes qui rampent pour y admirer, dans une grande pièce peu éclairée pour respecter les cycles des animaux, des serpents en pagaille, petits et gros, bien enfermés dans des cages en verre. Je suis un peu déçu car je pensais y voir aussi des araignées. Tant pis, ce sera pour plus tard.

Avant de rentrer à l’hôtel, je dois me procurer de la crème apaisante car je me suis aperçu cet après-midi que j’avais attrapé d’énormes coups de soleil sur le visage et dans le cou. Il est vrai qu’à 2700 mètres et en plein soleil, les brûlures sont vite arrivées... Je rentre dans l’une des nombreuses pharmacies de la ville pour m’y procurer un article fabriqué au Chili. Ce pays, plus riche que l’Équateur, doit fournir un grand nombre de biens qui ne sont pas produits ici. Je m’asperge aussitôt revenu dans la chambre d’hôtel car je suis vraiment rouge comme une écrevisse. Je ne m'étais même pas préoccupé avant le départ des désastres que pouvait provoquer le soleil en altitude...

Ça y est, je commence à effeuiller mon guide. Il est trop lourd et m’a déjà déçu trop de fois, alors je vais enlever toutes les pages des villes que j’ai décidé de ne pas visiter, ce qui a pour effet d’alléger considérablement et le livre et mon sac. Quelle joie de jeter tout cela à la poubelle ! Et je ne vais pas m’arrêter là : j’abandonne aussi un autre bouquin, un petit dictionnaire d’anglais (je n’en aurai plus besoin3), et quelques objets amassés ici ou là. Tiens, ce soir je m’endors plus léger...

Jeudi 27 janvier 2000

Après un petit déjeuner composé de viennoiseries, je prends la direction du Vieux Quito. Le soleil fait toujours défaut pour les photos, alors je vais visiter quelques églises. Celles-ci ne sont pas ouvertes toute la journée, il faut attendre les offices ou certaines heures précises. De l’extérieur déjà, elles impressionnent avec leurs allures étonnantes et leurs portails baroques en pierres sculptées. Ce « choc » visuel, je crois qu’en Europe, seul un Français ou un Anglais pourrait en être vraiment affecté, car ce style est quasiment inconnu dans leur pays. Le baroque existe en France, mais très peu sous cette forme. Il faut aller chercher dans la péninsule ibérique, en Italie ou dans les pays danubiens pour retrouver des éléments « comparables » à ce que je vois. Je franchis le portail de San Francisco, de la Merced et d’un autre édifice dont je n’ai pas noté le nom. Quelle richesse dans la décoration ! Ciselures et ornementations sont déclinées dans tous les recoins. Et surtout, que d’or ! D’immenses retables qui s’élèvent jusqu’à la voûte en sont recouverts. Le spectacle est époustouflant. Les autres couleurs ne sont pas absentes pour autant : rose principalement pour la Merced, toute une palette dans les deux autres. C’est l’heure de la messe à San Francisco ; j’écoute quelques instants ces mélodies très simples et très belles qui viennent du c(h)oeur...

Retour dans le Quito moderne pour prendre un bus qui me conduira dans un petit village assez proche nommé Mitad Del Mundo (Milieu ou Moitié du Monde, tout un programme !), mais avant cela, je fais un arrêt dans une pharmacie pour acheter de la vraie crème solaire, absolument nécessaire dans ce pays. L’après soleil acquis hier ne suffit pas. Arrivé sur l’Avenida America, je vais tenter de me restaurer dans une petite échoppe en attendant le bus... Je rentre donc dans une espèce de paillote ayant pignon sur avenue et m’installe à une table, ou plutôt sur un banc face à une planche portée par quatre pieds en bois. Oui, finalement c’est bien ça, une table, une table bancale quoi ! Je demande euh... je ne sais pas trop quoi en fait... je demande la même chose que mon voisin ! Voilà, ça évitera de se perdre dans les détails d’une trop longue explication dans un langage que je ne maîtrise pas vraiment. La gargotière prend une assiette à soupe et y verse un liquide tiré d’une grande marmite posée dans le fond de la pièce, puis me la sert. Je m’aperçois qu’il s’agit tout bonnement d’une soupe de poisson marinée avec des oignons. On appelle cela du ceviche. Je commence par manger les morceaux de poisson, précautionneusement, essayant de ne pas trop avaler de liquide, ne sachant pas si mon estomac supportera la mixture de ce petit boui-boui... Et finalement, prenant mon courage à deux mains, et surtout attiré par les fumets qui émanent de mon assiette, je termine cette soupe presque entièrement. Ex-cel-lent ! En tous les cas pour le moment ; je verrai bien dans six ou sept heures ce qu’il en est réellement...

Allez, le bus arrive, je me prépare, je suis le dernier de la file, et à peine engagé sur le marchepied, l’engin repart en trombe ! Je dois monter en marche, mon sac volant un peu au-dehors... Les « contrôleurs » m’aident à me hisser à bord. Je m’installe sur le plancher, une petite bosse bien chaude derrière la place du conducteur me faisant office de siège ; je pense que je trône juste au-dessus du moteur... Les « contrôleurs » sont des jeunes gens habillés comme tout le monde, sans uniforme spécial. Chargés principalement de faire payer leur billet aux passagers, ils passent dans le bus après chaque arrêt en général, demandent au voyageur où il va – bien souvent, le prix varie classiquement en fonction de la distance parcourue –, et collectent la somme due. Pas de ticket, pas de machine à poinçonner, juste une sorte d’accord de confiance entre le bus et le passager. Et ça marche ! Je n’ai jamais eu à me plaindre, jamais on a essayé de me faire payer deux fois4. Les personnes qui font ce travail ont l’habitude : parfois, cinq voyageurs ou plus montent en même temps et, dix minutes plus tard, les contrôleurs les retrouvent où qu’ils soient dans le bus et chacun donne la monnaie qu’il avait préparée... Payé un dollar, le trajet dure une heure pour seulement une vingtaine de kilomètres à parcourir, mais il y a énormément d’arrêts. Je pense même qu’on doit pouvoir demander à s’arrêter n’importe où. Par contre, il n’y a pas vraiment d’horaires, en tous les cas pas d’horaires affichés. De toute façon, je ne me souviens pas avoir vu beaucoup de panneaux indiquant qu’une compagnie passait par là, et encore moins d’Abribus. La durée moyenne d’un stop est... très courte : j’en ai fait l’expérience ! Il faut monter rapidement, c’est tout. Les bus doivent effectuer de nombreuses rotations dans la journée pour gagner le plus d’argent.

Mitad Del Mundo est donc un petit village situé plus ou moins sur l’équateur. Le site est composé de plusieurs bâtiments attribués à des pays européens différents, dont la France. Au milieu du XVIIIe siècle, une expédition menée par Charles-Marie de la Condamine avait pour objectif de déterminer précisément l’équateur et d’effectuer certaines expériences scientifiques. Il y a également un musée, que je ne visiterai pas, et l’on peut monter au sommet d’un monument construit sur la Ligne moyennant quelques sucres. Il pleuvote, je ne suis pas tenté par cette ascension qui ne me permettra même pas de réaliser de belles photos. Par contre, je ne peux m’empêcher de mettre un pied de chaque côté de la bande jaune censée matérialiser l’équateur (elle ressemble surtout à la ligne tracée sur les routes américaines !), et de me photographier dans cette posture. C’est tout à fait, comme l’écrit le guide, une sorte de « pèlerinage intellectuel », et cela ne me déplaît pas, d’autant que ça ne coûte pas cher...

Durant le voyage de retour, une jeune et jolie maman – n’est-ce pas plutôt une baby-sitter ? J’en doute, dans ce pays où la moyenne de l’âge auquel les mères ont leur premier enfant ne doit pas être très élevée – est assise à mes côtés. Mon coude côtoie le sien, tout à fait innocemment bien entendu, et avant de descendre, elle me lance un hasta luego qui ne manquera pas de venir ajouter un fantasme de plus à la longue liste de ceux qui hantent déjà ma tête de pauvre promeneur solitaire...

Je vais dîner dans un Taco Bell d’un burrito, nettement moins bon que celui que j’avais mangé à Los Angeles. Peut-être est-ce le souvenir de mon succulent déjeuner qui ont laissé mes papilles un peu sur leur faim avec ?ette nourriture ?



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