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Lundi 14 février 2000

Arrivé à huit heures à Arequipa, quarante-cinq minutes de marche dans la ville sont nécessaires pour me rendre à l’hôtel Royal. Quel nom ! Et pourtant, la chambre a les dimensions d’une cellule : deux mètres par un et demi. Mais je suis « sur le toit » et j’ai une assez jolie vue sur la ville... qui ne l’est pas tant que ça. À peine arrivé, je me lance pourtant à sa découverte.

Désirant changer un traveller’s chèque, je rentre dans une banque et rencontre un employé qui me propose, avec le sourire bien entendu, de me prendre onze dollars de commission pour un chèque qui en vaut cinquante ! Je crois que c’est la banque conseillée par mon guide, tout s’explique... Dans certaines rues, plusieurs écrivains « publics » sont assis sur le trottoir en face d’une table et d’une machine à écrire, un de ces vieux modèles mécaniques qu’on ne trouve plus en France que dans les brocantes, les dépôts ventes ou les musées...

Entre autres, je visite la cathédrale qui possède une très belle fausse façade mais dont l’intérieur est vide. Par contre, il y a une superbe coupole chromatique dans l’église de la Compañía, dont le portail est également splendide. À l’intérieur, représentés dans des teintes dominées par le rouge et l’orange, des oiseaux et des fleurs de la forêt vierge en pagaille. L'endroit date de la période d’évangélisation de l’oriente (la selva, c’est-à-dire la forêt vierge, à l’est du pays...), d’où cette exubérance de motifs naturels. Le centre-ville contraste terriblement avec ceux de Nazca, Tumbes, et, dans une moindre mesure, Trujillo : c’est relativement propre, les prix y sont plus élevés qu’ailleurs, et bien que j’y retrouve les ingrédients folkloriques incontournables de cette Amérique du Sud pauvre, c’est-à-dire vendeurs de rues derrière leurs étales, taxis en pagaille, cireurs de chaussures et quelques Indiens dans leurs costumes colorés, l’atmosphère y est plus « européenne » (toutes proportions gardées), un peu comme à Cuenca en Équateur.

Dans une boutique, j’achète une pellicule diapositive Kodak Elite Chrome Extra Color moins chère à l’unité que si je l’avais payée en France. Voyons, voyons, qu’est-ce qu’il dit, déjà, mon guide à ce sujet ? Ah, oui, voilà : « Quant aux diapositives, elles sont vraiment hors de prix. » Il parle des diapositives qu’il a l’habitude d’acheter chez Fauchon, je suppose...

En début d’après-midi, je franchis le rio qui sépare la ville en deux pour aller visiter le monastère de la Recoleta. J’arrive plus d’une heure avant son ouverture, à trois heures, alors je commence à déambuler dans le quartier. Je suis toujours autant interloqué par l’ethnie citadine majoritaire de ces pays : le chauffeur de véhicules de transport en commun ! Pour expliquer cette abondance, on doit pouvoir raisonnablement évoquer le fait que le niveau de vie n’est pas assez élevé pour que chaque famille ait sa propre voiture, alors le transport collectif, bon marché (enfin, pour un européen), et fréquent, doit permettre de pallier cela. Je me rends compte également que ce n’est pas forcément la solution idéale pour éviter la pollution si l’on ne se donne pas les moyens d’avoir un parc de véhicules propres. Avec tous ces vieux tacots en fin de vie et carburant au diesel pour la plupart, les grandes métropoles occidentales doivent sûrement n’avoir rien à envier aux centres-villes sud-américains en terme de pollution. Sauf peut-être si la montagne renouvelle suffisamment l’air pur pour éviter l’asphyxie : ici, on est à 2300 mètres d’altitude, tandis qu’à Paris...

Je m’installe au milieu d’une grosse artère sur le terre-plein central pour me livrer à une étude statistique par catégorie du nombre de véhicules qui passent à cet endroit : bus, combis, « motos-taxis » et collectivos (des grosses voitures américaines un peu vieillottes qui peuvent emmener jusqu’à six ou sept personnes en les tassant bien...), taxis (les vrais, repérés par un panneau sur le toit ou une inscription sur la portière), et voitures « particulières » (dont les voitures de sociétés). Assis sur le bord du trottoir, je fais un petit tableau sur mon calepin et je trace, dans la colonne appropriée, un bâtonnet pour chaque véhicule passant devant moi... Je répète l’expérience deux fois, cinq minutes pour la première et le double pour la seconde. Résultats : 323 véhicules (soit un toutes les trois secondes) qui se répartissent ainsi : 40 bus (12,5 %), 44 combis (13,5 %), 103 taxis (32 %), 132 voitures particulières (41 %), enfin quelques collectivos et motos-taxis (1%). Ainsi, plus d’un véhicule sur deux sert au transport en commun, et les trois-quarts de ceux-ci ne sont pas des bus urbains mais des véhicules privés (je fais ici l’hypothèse que les bus sont gérés par la municipalité, c’est loin d’être évident...). Je pense que cela donne une idée de l’ambiance qui règne dans cette ville, et dans toutes les villes que j’ai traversées, et permet au lecteur de mieux comprendre la pression des différents concurrents qui essaient de gagner leur vie dans cette véritable jungle urbaine.

Bon, revenons à nos couvents. C’est très intéressant car le musée est bien agencé. La bibliothèque conventuelle contient près de vingt mille ouvrages, dont deux incunables de 1494 et 1496. Une nouvelle fois, cette visite effectuée seul, sans commentaires, fait surgir quelques réflexions. Je peux voir énormément de choses, mais souvent hors contexte, bien que la plupart de ces objets n’aient pas besoin de beaucoup d’explications (des mygales sous verres ou des momies, c’est mieux en vrai que dans un livre, et on comprend ce que c’est). Cependant, il y a certainement une histoire fabuleuse cachée derrière chacun de ces « trésors », alors que je n’en retire pas grand chose. A méditer...

Ce soir je m’offre un poulet à la braise avec papas fritas (des frites) en regardant une série locale à l’eau de rose. Non, décidément, les gens d’ici ne sont pas fondamentalement différents des occidentaux, même pour les pires choses...

Mardi 15 février 2000

J’ai fait un nouveau tour dans la ville pour prendre quelques photos, visiter un nouveau musée peu passionnant et consulter Internet. Je pars en milieu d’après-midi vers la gare routière où je vais prendre un bus pour... Cuzco, la mythique capitale du défunt empire inca. La compagnie que j’ai choisie est sérieuse, m’affirme la jeune femme derrière le comptoir du bureau d’informations. Cependant, une fois à bord, il y a déjà un problème de place pour mon voisin, et le bus part avec un bon quart d’heure de retard... En chemin, j’entends à nouveau des enfants pousser des cris de joie en apercevant les panneaux publicitaires de Coca et Pepsi plantés au bord de la route.

Vers dix heures et demie, nous faisons un arrêt dans un restaurant pour dîner. On est alors à 3850 mètres d’altitude comme l’atteste une pancarte située derrière le comptoir. Je n’ai aucune difficulté à respirer durant la demi-heure que nous passons dans cet endroit. Par contre, un peu plus tard dans la nuit, je vais ressentir quelques problèmes comparables à ceux que j’avais connus lors de ma première journée à Quito : souffle court, j’anhèle alors même qu’en ce moment je suis assis et ne fait aucun geste, ce qui me laisse penser que nous avons dû franchir un col à quelques cinq mille mètres d’altitude. Je tire une petite vanité à l’idée que j’ai peut-être dépassé en altitude la cime du Mont-Blanc ce soir. Du genre de celle qui nous permet de déclarer : « J’ai fait tel pays », ou : « J’ai fait le Mont-Blanc » comme on dirait : « J’ai fait les courses »... Le Mont-Blanc, moi ? Non, pas assez haut, j’ai été bien au-delà...


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