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Vive le guide ! Tout est faux : la gare n’ouvre pas à cinq heures, comme il l’indique, mais à six ; le train part donc une heure plus tard que ce qui est écrit ; pas la peine de venir au cas où il y aurait la queue, il n’y en a pas ; et surtout, la ligne n’est plus active entre la capitale et Alausi mais entre Alausi et Guayaquil... Cela veut-il dire qu’aucun train ne va partir ? Non, en fait il y en a bien un qui va à Alausi et propose en prime un attrape-touriste à trois dollars : la Narine du Diable ! Le supplément ne vaut pas le coup, car le trajet entre Riobamba et Alausi, déjà facturé douze dollars au touriste (et dix fois moins à toute personne pouvant justifier d’une carte d’identité du pays, comme cette enseignante anglophone qui travaillait alors à Quito...), est largement suffisant !
Sur le toit, des dizaines de routards : Allemands, Anglais, Canadiens, Français, etc. Tous les guides de voyage doivent donner le truc. Au départ, vue dégagée sur le Chimborazo, le Tungurahua (vu à Baños il y a une semaine, il fume de nouveau ce matin) et l’Altar, trois volcans de la chaîne andine qui traverse le pays.
En cours de route, je me rends compte qu’il suffit que la vue soit différente, plus élevée en l’occurrence ici, pour que le regard soit porté vers des éléments qu’on ne chercherait pas naturellement à regarder autrement, confirmant que notre environnement, notre « horizon », est fortement dépendant de notre station debout et de notre point de vue personnel. Cela m’incite à penser également que les « très grandes personnes» doivent voir les choses d’un œil différent (sans mauvais jeu de mot...). Il n’est qu’à penser à la manière dont on percevait la « réalité » physique lorsque nous avions cinq ou dix ans et quelques dizaines de centimètres de moins... Installé sur le toit, je remarque donc, car la vitesse me le permet sans aucun problème, qu’au faîte des murs entourant certaines maisons, des tessons de bouteilles ont été emprisonnés dans du ciment pour faire office de protection contre les tentatives d’intrusion. Un peu plus loin, on voit des installations complètement délirantes, probablement réalisées par les riverains eux-mêmes, entre les fils électriques et les maisons : des raccords partent des lignes haute tension qui transportent le courant directement vers l’habitation pour amener la précieuse énergie. En quelque sorte, du transporteur au consommateur ! Le raccordement est simple, probablement plus rapide à réaliser que de tout faire passer sous terre, et peut-être même gratuit si l’EDF locale n’est pas au courant ! Par contre, question sécurité, ça laisse un peu à désirer. Mais si la sécurité des installations électriques n’était plus que le dernier problème à régler dans ce pays...
Au bout d’une heure, le train déraille au niveau de ce qui ressemble à une carrière. Il faudra plus d’une heure aux techniciens et aux chauffeurs pour le remettre dans le droit chemin, utilisant pour ce faire de l’herbe fraîchement arrachée, des pierres et des bouts de bois comme leviers... Un coup en arrière, un coup en avant, et c’est reparti ! Tout le monde en a profité pour descendre satisfaire quelques besoins bien naturels et assister aux opérations, un peu incrédule devant ce spectacle impensable dans un pays occidental.
Sur le toit du train, les habituels petits vendeurs de sandwichs, bananes, confiseries et boissons (« Cerveza ! Cerveza ! »...) jouent les équilibristes entre les passagers, se frayent tant bien que mal un chemin parmi les corps assis qui occupent la moindre parcelle libre sur le toit, se raccrochant tantôt à l’un d’eux, tantôt à leur seau dans lequel se trouve leur bien le plus précieux et qu’il n’est pas question de perdre. Certains ont à peine une dizaine d’années. Combien de chutes mortelles ce train a-t-il connu ? Ah ! qu’ils sont tranquilles mes petits sauvages dans leur jungle...
Arrivé à cette fameuse Narine du Diable, le train fait quelques manœuvres savantes en utilisant une seconde voie parallèle située en contrebas de la première : on échange deux wagons de place, on descend d’un étage pour faire partir la locomotive dans l’autre sens, puis on raccroche les wagons et on repart vers Alausi.
La balade sur le toit du train est la promenade « routarde » typique qu’il « faut avoir faite » en Équateur. C’est du moins ce que semble penser mon guide (« Vous appelez cela penser ?...»), mais je crois qu’on peut tout à fait s’en passer vu le prix qu’elle coûte. Allez, ne boudons pas notre plaisir, ce n’était pas si mal après tout car les paysages sont jolis et l’impression d’être « dans l’espace » est là : c’est le plus important, non ?
Arrivé à Alausi, je suis content car je suis le premier à retirer un billet pour Cuenca, mon prochain arrêt, et j’espère donc avoir une place assise dans le bus qui part bientôt. Petit à petit, je suis rejoint par une horde de touristes et de locaux qui viennent attendre avec moi. Je fais la connaissance d’un Français et d’une Suissesse. Avec celle-ci, je discute du guide de voyage car nous avons à la fois le même et le même avis dessus... Elle me fait remarquer, par exemple, qu’il est écrit que l’Équateur est un « vrai paradis pour végétariens », maie elle n’est pas vraiment convaincue par cette affirmation.
Finalement le bus arrive... déjà entièrement rempli ! Il vient probablement de Quito. Moi qui pensais avoir une place assise, je me retrouve pour la seconde fois sur le toit en compagnie de onze autres personnes dont Patricia (la Suissesse), quatre Allemands et une Norvégienne. Nous allons rester près de trois quarts d’heure sur la place de la petite ville à cause d’une panne mécanique. Le départ n’est pas très rapide, le chauffeur circulant dans les rues avec la porte avant ouverte pendant qu’un rabatteur crie la destination du bus à tue-tête : « Cuenca ! Cuenca ! Cuenca ! », alors que celui-ci est plein, certains voyageurs étant debout dans l’allée centrale, d’autres assis sur le toit... C’est agréable au début, les paysages s’offrant toujours aussi superbement à notre contemplation, mais ça devient un brin routinier après les quatre heures de train. Très rapidement, la nuit tombant, il fait de plus en plus froid et, finalement, la pluie est de la partie. Nous sortons tous nos ponchos, essayant de nous abriter tant bien que mal et de nous protéger du froid. À mi-parcours, nous arrivons face à un éboulement. La route est bloquée, impossible de continuer. Nous retournons sur nos pas, obligés de faire un détour. Il est déjà tard, j’espérais arriver tôt à Cuenca... Un peu plus loin, nous croisons un autre bus sur cette « route » qui n’est pas assez large pour nous deux ! Manœuvres savantes... La nuit est tombée, la pluie continue de s’abattre sur nous, alors, prenant pitié de notre pauvre sort, on nous fait rentrer à l’intérieur. Il faut peut-être que je précise que c’est nous qui avions insisté pour prendre ce bus et envahi le toit...
À mon tour, je fais une partie du voyage debout dans l’allée avant de trouver enfin une place assise. Ouf ! L’autre Français, rencontré devant la gare routière, me dit qu’il a discuté avec un passager équatorien, médecin de son état, à qui il a parlé de mon problème de poignet, toujours enflé. L’hématome, qui tire maintenant au verdâtre, commence à s’étendre sur une quinzaine de centimètres, de la base de mon pouce jusqu’en plein milieu du bras. Toute cette zone est assez douloureuse lorsque je l’effleure, par exemple avec le revers de ma manche.
Sur le quai du terminal terrestre, nos bagages à nos pieds, le très sympathique médecin, à qui j’explique mon histoire en anglais et montre mon avant-bras tout tuméfié, m’offre deux cachets contre la douleur qu’il tire de son sac et griffonne sur mon calepin une ordonnance. Au programme, anti-inflammatoires et tout ce qu’il faut pour m’aider à guérir. Jugez par vous-même : « Supibex tomar 1 c / 6 horas por 5 dìas. Celebrex 1 c / 8 horas » (Supibex, prendre un comprimé toutes les six heures pendant cinq jours. Celebrex, un comprimé toutes les huit heures). Il voulait également me prescrire un vaccin antitétanique (pour pas que je coule ?), mais là j’étais bien à jour avant de partir...
À la fin de cette consultation improvisée, je constate que tous mes compagnons de voyage se sont déjà enfuis. Je remercie le docteur et me dirige à pas pressés vers la sortie car il est huit heures passées. Je rencontre un couple d’Allemands encore dans la gare, et nous décidons de partir tous les trois à la recherche d’un hôtel. Je conseille le Pinchincha, suivant en cela les recommandations de mon guide. Vers onze heures trente, débarrassés de nos affaires, nous partons cette fois à la recherche d’un endroit ouvert pour nous sustenter. Je déguste un très bon churasco, copieuse assiette composée de viande de bœuf grillée, d’un œuf sur le plat, de riz et de légumes (tomates, pommes de terre...).
Je suis réveillé à quatre heures du matin par des voix qui viennent de la chambre à côté. Y a-t-il un vraiment une cloison entre les pièces ? L’hôtel est une petite merveille à en croire le guide. À nouveau, toutes les belles images que j’avais imaginées à Houston sont ternies. C’est un peu comme lorsque l’on reçoit ses photos au comptoir à un retour de vacances et qu’on découvre qu’elles sont ratées : ici trop blanche, on ne voit rien, là trop sombre, on ne reconnaît pas grand chose... C’est vrai que l’accueil est souriant, mais pas forcément plus qu’ailleurs (plus que dans les magasins parisiens, en tous les cas, ça c’est certain !). Le prix n’est pas « par chambre, quel que soit le nombre de lits », mais bien par personne. Et puis la lavenderia (laverie) n’est pas si donnée que ça ; je paye deux dollars quand le guide parle d’un « prix qui ne suffirait même pas à rembourser le courant de votre machine à laver » : ils utilisent quoi comme matériel, les rédacteurs du guide ? Et la peluqueria ? Pas vu... Pas plus que le seul bar qu’ils mentionnent dans les environs. Par contre, ils précisent que l’ascenseur ne fonctionne plus : ça, c’est une information utile !
Je vais commencer la matinée par me rendre dans l’une des nombreuses officines de la ville – c’est général dans ces pays : il y a énormément de pharmacies – afin d’y acheter les médicaments prescrits et commencer le traitement dès aujourd’hui. Ça coûte assez cher, mais je n’ai aucune hésitation à avoir car j’estime m’en être déjà trop bien sorti... J’enchaîne par l’un des (également) nombreux bureaux de change, gardé comme à l’habitude par un homme armé, et d’où je ressors avec mes billets. On se croirait dans un film de gangsters : certains viennent avec plusieurs grosses liasses de cinq ou dix centimètres d’épaisseur en monnaie locale pour repartir avec des dollars 1. Je me gausse en relisant cette phrase du guide : « Il n’y a pas de marché noir ou très peu, car c’est illégal. » Elle me permet de conclure que toutes les personnes rencontrées aux abords des bureaux et des banques, avec leur calculatrice à la main et leurs poches bourrées de billets, n’avaient pas dû acheter la même version que moi, voire n’avaient pas acheté de guide du tout, ce qui est vraiment scandaleux ! Sinon, ils auraient su que ce qu’ils faisaient était « illégal », et je suis certain qu’ils auraient arrêté immédiatement. Par contre, je ne comprends pas : le commerce de la drogue, c’est illégal aussi. Et la prostitution, et le meurtre... Quoi ??! Mais on ne respecte vraiment rien dans ce pays !!!
Je visite ensuite le centre de la ville. J’ose pénétrer dans certaines églises qui ne paient pas de mine de l’extérieur, mais sont très agréables à l’intérieur, bravant en cela les recommandations du guide que je commence à mieux cerner : quand il dit : « C’est pas beau », alors il faut foncer ! Ainsi je trouve la nouvelle cathédrale assez réussie, avec sa couleur ocre et ses coupoles bleues. Mais son intérieur contraste : pauvre, désertique. Là, le guide a raison (mais... « C’était facile ! »). Cuenca possède un «feeling » plus européen que les autres villes visitées, avec un centre relativement propre et convivial. Ça aussi, ça change ! Ce sentiment est partagé par des filles allemandes et la Norvégienne que je croise près de l’hôtel. La ville est aussi l’un des hauts lieux du panama, le célèbre chapeau blanc crème dont j’achète un exemplaire. Je tiens également à conserver un souvenir sonore du pays, alors j’entre chez un disquaire. Le magasin, pas très grand, regorge surtout de cassettes, objets qui deviennent rares en Europe à l’heure du disque compact et du MP3... Je constate que la musique populaire équatorienne est dynamique, avec moult formations et chanteurs, et j’achète deux volumes d’une intégrale d’un groupe connu (connu là-bas...). Souvenir juste pour me rappeler comment c’était, parce que je ne suis pas fan...
Je dîne avec mes compagnons allemands qui ont fait une visite dans leur coin. Ils ne forment pas un couple d’amoureux, bien que logeant dans la même chambre. Ils se sont regroupés ainsi pour ne pas voyager seuls. Ils ont vérifié, avant le départ, qu’ils avaient tout de même des points communs et qu’ils pourraient se supporter les quelques semaines qu’ils allaient passer ensemble. Je comprends qu’elle aime l’histoire et est venue à Cuenca, notamment, pour visiter le site inca d’Ingapirca, alors que lui n’est pas aussi motivé, mais se contentera de cette promenade. C’est une sorte de colocation touristique, il faut aimer quoi ! Le voyage en couple, j’ai aussi vu au Maroc ce que cela pouvait donner dans les moments difficiles...
Je goûte les tamales et les humitas que je ne trouve pas très fameux. Les premières sont des « petits pains de blé cuits à la vapeur et fourrés au porc ou au poulet », paraît-il. Je cherche encore la viande... Enfin, de toute façon, on ne peut pas tout aimer !
1 Cela a dû changer depuis que l’État a adopté comme monnaie officielle la devise américaine...
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